Rien du t()ou(t)
Je commence tout ce texte à partir de rien. Le néant qui contient en lui-même un germe, un potentiel de devenir. Le retour de la première question métaphysique : pourquoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien ? Ouroboros, l’image du paradoxe de l’origine.
La physique quantique contemporaine observe le néant, le vide, et constate qu’il y a de turbulentes fluctuations — ce qu’on appelle l’écume ou la mousse quantique. On croit aujourd’hui que le néant n’est pas un vide absolu et tranquille. À l’échelle minuscule du tissu de la réalité, le néant est déjà un potentiel bouillonnant du devenir. Même l’absence absolue de matière contient des apparitions et des disparitions rapides de particules qui se matérialisent et se dématérialisent sous nos yeux curieux. Le néant n’est rien d’autre qu’une sorte de chaos primordial, un œuf cosmique, la graine cosmogénétique des cosmologies désacralisées de la physique moderne.
Je pourrais écrire un livre entier sur le néant, je suis spécialisé·ε en rien. Voilà tout son paradoxe. Rien n’est plus générateur que le néant. Lorsque je regarde ou aborde le néant, lorsque je réfléchis à rien, des millions de choses apparaissent. (T’as déjà essayé la méditation ?) Et nous annulons la possibilité que rien ne reste nul. Ou nulle part.
John Cage, dans sa « Conférence sur rien », dit : « je n’ai rien à dire et c’est ce que je dis, et c’est de la poésie telle qu’il me la faut ». Le même compositeur a également composé la pièce « 4’33’’ » (4 minutes et 33 secondes = 273 secondes) qui fait référence au soi-disant zéro absolu de la température (-273°C), dans lequel la matière, à son état minimale d’énergie, vibre encore. Analoguement, le silence absolu d’un théâtre est rempli de toux, de chuchotements, de froissements de vêtements, de réflexions et de grincements de chaises. Le silence fait aussi écho. Le vide est rempli de rythmes.
Karen Barad mène une recherche créative sur la mesure du néant. Pour iεl, mesurer ou observer est un acte performatif. L’observataire et l’observé·ε sont inséparables. Mesurer, c’est fabriquer des mondes : la matière et le sens sont co-constitués dans l’acte d’observation. Il convient d’observer que, pour la physique, la notion d’observation n’est pas nécessairement anthropocentrique. Un électron observe et est observé par un proton, par exemple, à l’intérieur d’un atome d’hydrogène. Observer, c’est affecter et être affecté en co-présence, la co-sensibilité entre les entités impliquées dans une relation. Manifestations de la performativité queer de la nature.
Mais mes expériences, qui découlent de mes observations sur le terrain, révèlent que le monde est bien plus qu’un pur potentiel. Toute la réalité n’est pas seulement déjà advenue, mais elle continue à devenir.
Suivant le trajet vibratoire de la trahison dialectique, le rien nous mène au tout. Et ainsi je me suis donné la tâche impossible d’organiser une vision du monde. La tâche d’une cosmologie (physique, philosophique, anthropologique) est d’organiser les parties qui composent un monde, un cosmos, dans une vision cohérente.
En essayant de parler de tout, nous nous heurtons à l’inverse du paradoxe du néant. On a beau essayer d’inclure de plus en plus de choses, de catégoriser les entités que l’on crée, on les ajoute à l’infini au tas, mais il en restera toujours quelque chose dehors, ignoré. Chaque tout est plein de trous. Des absences de ce qui a été exclu du récit. Ce que Reza Negarestani appelle des ()holes — une manière de s’adresser à des totalités trouées ou de mettre l’accent sur les trous dans les touts.
Žižek a dit : « La première chose à propos des jeux vidéo, c’est que leur univers est incomplet. Vous êtes dans un jeu, un jeu stupide, où vous tirez, vous vous battez dans la rue principale d’une petite ville, disons, et à l’arrière vous voyez une forêt, avec des arbres. Mais cela ne fait pas partie du jeu que vous puissiez vous approcher de ces arbres et les voir en détail. Cela fait partie du jeu que vous ne puissiez pas y aller, donc les programmeurs disent : ” pourquoi perdre du temps sur cette programmation ? Laissons-le ouvert ! ” De la physique quantique, n’y a-t-il pas la même leçon ? Lorsque Dieu programmait l’univers, il a dit : ” Les gens sont trop stupides pour aller au-delà de l’atome, alors pourquoi devrais-je m’occuper de leur programmation ? ” Et il l’a laissée indéterminée. Mais nous étions un peu trop brillants pour Dieu, et nous avons, comme on dit en anglais, pris Dieu avec son pantalon baissé, en quelque sorte. ».
Suivons le chemin de la physique quantique. Pour ce champ disciplinaire, le monde est constitué de quelques particules fondamentales. Il y a un nombre assez petit de blocs de construction de la réalité, la substance du monde. Chaque particule est un atome méréologique (on n’a pas encore des atomes chimiques) de substance, chacune avec un triple aspect: un aspect matériel, un aspect énergétique, un aspect informationnel. Ces trois aspects sont inséparables: il est impossible d’isoler matière, information ou énergie. Ces particules fondamentales sont floues, ses frontières spatiales sont vagues, ses états peuvent être une superposition d’états contradictoires. C’est comme si on n’avait pas encore les lettres d’un alphabet, mais que de vagues traits nécessaires à en construire un. Les courbes de Bézier d’une calligraphie. D’ailleurs, ces blocs de construction ne sont pas permanents : une particule peut devenir une autre à partir d’une interaction — ou intra-action, comme suggère l’immanence de la cosmologie baradienne. Les diagrammes de Feynman illustrent ce tissage matériel à l’échelle sub-atomique de la réalité. C’est peut être ce genre d’entité que Leibniz cherchait en parlant des monades ?
Pourtant, malgré cette instabilité ontologique au niveau sub-atomique, quand les particules s’assemblent pour former des atomes, un alphabet de blocs de construction émerge: et voilà le tableau périodique des éléments, fabriqué à l’intérieur d’une étoile pendant qu’elle est encore allumée ou lorsqu’elle explose à la fin de sa vie.
Ces atomes chimiques ont des propriétés que les particules sub-atomiques n’ont pas. Des propriétés émergentes, qui naissent de la composition. Une centaine d’élements chimiques constitue quasiment toute la réalité matérielle qu’on voit sur Terre et ailleurs.
Axiome : la composition est l’opérateur qui passe d’un niveau n à un autre, n + 1.
En passant au niveau plus haut d’assemblage (c’est à dire, en composant des molécules à partir de cet alphabet d’atomes), le nombre de possibilités explose à l’infini. Qu’est-ce que ça veut dire, exactement ? Qu’un nombre fini de traits compose un abécédaire fini de lettres qui composent un nombre potentiellement infini de mots. Évidemment, le dictionnaire moléculaire de l’Univers est fini, même le nombre d’atomes de l’Univers est fini… Mais avec le temps, on génère de nouvelles molécules, de nouveaux mots, même si le nombre d’atomes et de lettres est fixe.
Ma jupe est trop serrée !
Je me trouve dans une situation assez inconfortable. Je me suis donné pour tâche de parler de tout, de toucher à des domaines de diverses disciplines qui ne m’appartiennent pas, sans savoir exactement qui est mon public. Ni comment et à qui m’adresser. Je me situe entre les recherches théoriques et expérimentales d’un ou de plusieurs domaines que peu de gens pourraient même nommer (même moi, je ne sais pas exactement à quel champ disciplinaire j’appartiens). Je ne sais même pas si, en le nommant, je détruis la possibilité de poursuivre cette expérimentation recherche-créative: je suis là pour déranger le cloisonnement hyperspécialiste.
Conjecture : nous n’avons rien en commun. Contrairement à l’entre-soi des spécialistes, qui partagent toute une littérature et s’enferment dans une tour d’ivoire de controverses hérméneutico-scientifiques.
J’essaie de ne pas rentrer trop en détail dans les totalités dont je parle pour vous en donner une vision trans-échelles, mais je vous invite à accueillir la sensation de ne pas tout comprendre; c’est quand on abandonne le geste de vouloir tout comprendre, qu’on commence à tout comprendre.
Je m’intéresse en ce moment aux genres hybrides, comme la théorie-fiction, la SF harawaÿenne ou la théorie-poésie. Mais je n’ai pas vraiment de collaborataires directs dans le champ disciplinaire vague et indéfini où je me situe. La littérature scientifique de ce champ spéculatif n’existe pas exactement. C’est pourquoi j’essaie de m’adresser à celleux qui s’intéressent aux questions de transdisciplinarité ou de tra(ns)duction, de transition ou transport, de transformation ou de trajet. Je suis peut-être un spécialiste des multiversalités singulières. Je demande un peu de votre distraction, sans pour autant renoncer au désir de solliciter votre regard.
Je me cogne à des champs disciplinaires divers.
J’essaie de faire un travail de vulgarisation inter-spécialiste pour rapprocher les multiples strates, séparées par un abîme linguistico-épistémologique produit par la capitalisation des hyper-spécialismes au cours des derniers siècles.
Vous êtes métamathématicien·ne et le tournant performatif ne vous dit rien ? Vous êtes linguiste et vous ne connaissez rien à la physiologie humaine ? Vous êtes biologiste et la topologie algébrique ne vous intéresse pas ? Vous travaillez dans la recherche mais ne travaillez pas ses dimensions affectives ou sociologiques ? Vous travaillez dans une banque et vous ne savez pas ce qu’est la lutte de classes ? Vous êtes juriste et vous n’avez jamais fait un cours de programmation ? Vous êtes philosophe et n’avez jamais entendu parler de méréologie ? Ce sont des symptômes de notre époque. Bienvenue dans les post-science-wars.
Mes sujets-objets d’étude sont liminaux — il s’agit plutôt de trajets d’étude. Par exemple, je m’intéresse à ce qu’on appelle « l’émergence », une sorte d’effet synergique qui se produit lorsque plusieurs éléments réunis forment un tout qui est « plus grand que la somme de ses parties ». Des propriétés nouvelles à partir d’un assemblage, d’une composition.
Une phrase naît de l’assemblage ordonné de tous ses mots. Un flocon de neige naît de l’interaction des molécules d’eau qui le composent. Les neurones de votre cerveau, en lisant ces mots qui sont sortis de moi, communiquent et donnent un sens à votre lecture. Notre corps naît de l’action coordonnée d’une myriade de cellules, chacune émergeant à son tour de l’exécution de protocoles moléculaires complexes. Une langue émerge d’un processus évolutif, biologique et culturel enchevêtré de co-construction de mémoires et de conventions. Je m’intéresse à cette sorte de colle qui existe en collectifs. Ou en collections.
Comme vous pouvez le constater, la notion d’émergence échappe à toute tentative de l’enfermer dans un territoire disciplinaire spécifique. L’émergence est une sorte d’opérateur transdisciplinaire, qui fait le passage du physique au chimique, du chimique au biologique, du matériel au symbolique, du psychologique au sociologique, du moléculaire au molaire… C’est un concept nomade, radicalement transdisciplinaire. Il en va de même pour les notions d’architecture, de flux, de trajectoire, de sens, de machine, d’abstraction, d’espace-temps, d’information, de composition.
J’ai donc entrepris de collecter des termes, des idées, des concepts, des images, des pratiques nomades susceptibles de rapprocher les différentes onto-épistemologies actuellement isolées les unes des autres. Et d’inventer des pratiques pour les mettre en mouvement.
Il y a quelque chose de commun entre la composition chimique d’une substance, la composition méréologique d’un corps vivant ou d’une entreprise, la composition d’opérateurs en maths, la composition scénique d’une production théâtrale ou la composition des mots d’un paragraphe ou d’un livre. Mais comment coudre avec et à partir de ce vague commun ?
Ces dernières décennies, grâce à tout un réseau d’efforts transdisciplinaires (qui passe aussi par Gregory Bateson et Félix Guattari, Lynn Margulis et Donna Haraway) le mot écologie a quitté son territoire d’origine — une sous-discipline de la biologie — pour entrer dans les champs de l’art, de la sociologie et du politique, entre autres. En se déterritorialisant, la pensée écologique contamine d’autres pensées, ouvrant des ponts entre différents champs de savoir. Et ce va-et-vient trans-épistémologique m’intéresse.
Mais cette pratique comporte aussi un risque : lorsqu’on transpose un concept, une idée, un mot ou même une pratique, on perd souvent la référence du contexte d’origine si l’on ne maintient pas un dialogue vivant et ouvert entre les groupes sociaux ou les champs disciplinaires dans lesquels ils opèrent. Cette recontextualisation introduit une mutation dans le terme, et nous sommes confrontés à une multiplication des significations qui peut être troublante, désorientante, voire toxique. Elle peut également nuire aux pratiques avec lesquelles nous souhaitons collaborer, en générant plus de confusion et de désinformation que prévu. L’analogie sera une alliée dont on doit se méfier.
Axiome : Les mots sont des molécules et changent de sens en permanence.
Comment cartographier le sable mouvant ?
Cosmogrammogénèse
Rien du tout.
Quelque chose. Une carte blanche. Une page. Une lettre, laquelle vient en premier ? Ou un simple trait, le point d’un i ? Le premier mot, la première partie, la première particule, la première particularité. Singularité, singulier. Pluriels. S. Est-ce ? Un atome est déjà pluriel, un dialogue entre les particules qui le composent. Posé, positionné, position. Com-position.
Je vais vous parler un peu du processus de composition d’un projet de recherche-création qui a commencé à se matérialiser presque spontanément.
J’ai grandi en étant fasciné·ε par l’univers. La chimie et notre corps. Comment cela fonctionne-t-il ? J’ai une formation en ingénierie des systèmes, en physique de l’information et systèmes complexes, en musique, en biologie informa(théma)tique et en désinformation. Fasciné·ε par la performativité de la biochimie et en ayant hérité une culture scientifique plutôt dure et moderne, j’étais déçu·ε avec l’écriture scientifique, les silos de connaissance, les paywalls, et d’autres dimensions de l’économie et la sociologie des sciences modernes.
Alors j’ai commencé à expérimenter, il y a quelque chose d’iconoclaste en moi. Quelque chose qui veut habiter les frontières et refaire les codes, mais avec beaucoup de respect. Comme je m’intéressais déjà à des sujets limites, j’ai décidé de me demander : puis-je créer un catalogue d’hybrides frontaliers ? S’agit-il seulement de sujets ? S’agit-il d’images ? S’agit-il de pratiques ? D’actions ? De formes ?
Je suis parti·ε à la recherche d’une manière de regarder les choses — des choses qui pourraient entrer dans cette catégorie d’hybrides transdisciplinaires. Je voulais les cartographier. Un jeu combinatoire de cartes et les lignes de ses mouvements. Que se passe-t-il aux frontières entre philosophie, arts et sciences ? Quels sont les êtres qui occupent ces frontières ? Comment cartographier des cosmologies ? Je n’ai pas assez de temps pour cartographier les controverses autour de chaque mot !
Bien sûr, on ne peut pas être exhaustif, mais mon travail a commencé par une première série de mots qui sont des concepts nomades. Des concepts qui ne se laissent pas enfermer dans une bulle disciplinaire. Des concepts comme le rien, l’espace-temps, le flux, l’architecture, le code, les tresses. L’idée, au départ, était d’écrire un livre illustré (inspiré par deux livres: le « Codex Seraphinianus » et le « Metamagical Themas ») qui exposerait l’anatomie, la généalogie, la grammatologie, l’organologie sans organes, l’écologie et la géologie de ces hybrides, qui les épaississerait sans forcément les expliquer (en me laissant habiter par les absurdes de multiples réalités). J’en avais marre de cette arrogance scientifique de l’explication.
En me rendant compte de la densité d’hyperliens entre ces êtres hybrides, j’ai dû éclater le livre en fragments, en cartes, pour rendre visible ses relations. J’ai créé un cadre pour mettre en scène ces hybrides. Pour les mettre en page, en récit, en mouvement. Au début, ces protagonistes n’étaient que des mots ou même des fragments de mots.
J’ai ensuite regardé chacun de ces fragments et je les ai laissés circuler. Je les ai laissés se recombiner. S’amalgamer, s’agglutiner. Les mots se sont mis à jouer, à appeler eux-mêmes d’autres mots, à se rassembler et à se nommer en catégories.
D’autres catégories de mots ont commencé à émerger pour faciliter la navigation dans la confusion transdisciplinaire. Le processus est devenu une carte mentale en mouvement. Un métabolisme fractal, modulaire. Ouvert aux interactions avec d’autres personnes qui ont commencé à s’y joindre. On a commencé à jouer à un ou plusieurs jeux linguistiques. Un jeu dont les règles sont implicites, parfois inexistantes, ou construites collaborativement, progressivo-régressivement, gödeliennement.
Les mots s’assemblent et forment de nouvelles règles, des instructions, des algorithmes. Des recettes et des exercices. Et je laisse les règles qui émergent s’auto-instruire. L’interprétation est ouverte à discussion. Je commence à exécuter ou performer les séquences qui apparaissent et m’interpellent : « traduire une cosmogonie en littéragonie », « faire une vidéo sur des bulles », « quinifier la phrase suivante : ».
Comment fonctionne ce que je propose ?
Ce jeu de mots naît de la confusion productive (ou analogie méfiante) entre mot et molécule. Une pratique chimiolinguistique. On imite (sans faire semblant) l’organisation biologique moléculaire du vivant à travers un jeu d’analogies et transports transdisciplinaires. C’est uniquement en jouant qu’on découvre les règles. L’improvisation est fondamentale, le jeu change en fonction des états des participant·εs e des resources à disposition. On doit toujours être à l’écoute de nos co-présences.
Axiome : il y a un trou de ver entre la biologie moléculaire et les métamathématiques, entre les ribosomes et les machines de Turing.
Je présente la méta-règle du jeu : selon le contexte, on décide quelles règles on accepte.
Cette méta-règle vient d’une traduction en jeu du travail du métamathématicien Gödel et du désir de mettre en scène l’implication ontologique que l’indécidabilité et l’incomplétude pourraient avoir pour d’autres disciplines. Ou l’organisation de différents systèmes de vérité.
En gros, Gödel a mis les maths en abyme et prouvé que les maths seront toujours soit incomplètes, soit inconsistantes. Et que la réponse à certaines questions est non-décidable. Toute question indécidable peut être convertie en axiome, en vérité fondamentale, mais son contraire aussi, étrangement. Les axiomes (ou vérités premières) sont les blocs de construction de différents systèmes de vérité, et accepter ces vérités fondamentales est un choix arbitraire. Ce qui, à l’envers, donne une étrange consistance à des systèmes de vérité incompatibles, comme, par exemple, la géométrie euclidienne et les géométries non-euclidiennes.
Pour simplifier: quand on choisit les règles qui composent un jeu chimiolinugistique, elles activent un mode d’opération qui mène à certaines actions, et fabrication de vérités.
Au lieu de jouer au jeu traditionnel d’écriture scientifique, j’incorpore le tournant performatif, je me réapproprie la question, je traduis le théorème en règle du jeu, en un geste poétique, j’utilise le résultat de Gödel. On joue avec. J’emploie ce qu’on appelle, en philosophie analytique, la use-mention distinction : à la place de mentionner quelque chose, entre guillemets, je l’emploie. Je la mets en action, je performe ce savoir. On enlève les guillemets de la citation et ça commence à opérer. Une forme de métadisciplinarité gödelienne à l’œuvre.
On considère les axiomes comme des règles provisoires qui nous donnent accès à une vision du monde. Des lunettes accessoires. On peut ensuite écarter les mêmes axiomes pour en accepter d’autres. Ou les combiner. C’est une manière plus agréable de réconcilier les inconsistances et les contradictions. On exclut le principe du tiers exclu.
Pensons aux diagrammes d’Euler-Venn. Un cercle représente une catégorie, une vérité, un événement. À l’extérieur, son opposé. To be or not to be = True. En excluant l’axiome du tiers exclu, la frontière du cercle (qui était vide), est peuplée de chats de Schrödinger, vivants et morts à la fois. Une image diagrammatique nous aide à nous situer.
Exercice : En tant que nouvelle matérialiste, pensez à quelque chose qui se passe dans le temps. Le présent sépare le passé du futur, l’instant est la frontière épaisse de l’instantiation du possible en actuel. Dessinez un cosmogramme approprié.
Au fur et à mesure, on co-compose avec les mots et les images de la cartographie, qui commencent à performer. Le jeu s’auto-construit.
Branch and Merge, un matérialisme des tresses
Ce jeu met en action un protocole évolutif. Des agencements de mots se répliquent, les concepts opèrent dans des bulles axiomatiques différentes. Chaque ensemble d’axiomes active un monde. La mutation bifurque les chemins d’interprétation. Des espèces de vocabulaire émergent.
On peut soit interpréter que les mots de ce jeu, par mimétisme, incorporent les propriétés d’auto-organisation de la matière à l’intérieur d’une cellule biologique au sein de l’Évolution cosmologique; soit on commence à voir l’ensemble de tous les écrits de l’humanité comme un long processus transtextuel rhizomatico-moléculaire stratilogique; soit encore une autre image que vous voulez. On joue avec la métaphore du métalangage méta-moléculaire. Jeu-agencement.
Guattari et Deleuze illustrent le jeu : « L’agencement était entre deux couches, entre deux strates, il avait donc une face tournée vers les strates (en ce sens, c’était une interstrate), mais il avait aussi une face tournée ailleurs, vers le corps sans organes ou le plan de consistance (c’était une métastrate). ».
Tresser ces lignes directrices en règles du jeu
- from [ ] import *
- Produire d’autres formes que telles et telles disciplines ignorent.
- Inventer une multiplicité de protocoles d’écriture et les tester.
- Aller chercher des références dans d’autres champs disciplinaires (traduction-détour).
- Traduire en objet, en texte, en geste, … Traduction-incarnation.
- (donner corps, mettre en scène l’idée-personnage)
- Hybrider. Protocoler l’hybridation.
- Mettre en question ce qui peut nourrir la recherche-création.
- (aller chercher plus loin de l’évident)
- Identifier les ponts/portes avec d’autres champs (les ouvrir, établir).
- Traduire toutes sortes d’idées en pratiques.
- Réfléchir à la navigabilité, comment s’orienter dans des champs disciplinaires inconnus ? Comment rendre lisible ou illisible ce qu’on fait?
- Juxtaposer même ce qui semble incompatible. Compatibiliser l’incompatible.
- Faire aller-retour entre abstraction et instances concrètes. L’abstraction est une alliée.
- Combiner dispositif de réflexion théorique et ateliers de création pratique.
- Disséminer des graines de processus. Partager. Démolir les paywalls.
- Cartographier des conjonctions créatrices. Produire des rencontres fertilisantes.
- Subvertir les normes. Habiter l’entre-deux (e.g. entre iconogénèse et iconoclastie).
- Écrire avec, par, sous, vers… et non uniquement sur quelque chose.
- Développer des techniques de relation.
- Activer des potentiels inattendus.
- Utiliser le potentiel d’une trajectoire ouverte (le potentiel transitoire de la transition).
- Réemployer (feed-forward).
- Homéostasie autopoïétique (feed-back): chercher une persistance de survie du processus.
- Détourner: le contexte, un mot, le sens d’un mot, un préfixe, un suffixe, une lettre, l’usage, la discipline, ces lignes directrices,…
- Dessiner certains discours. Danser certains dessins.
- Hybrider plutôt avec des instances (programmation orienté objet) qu’avec l’abstraction.
- Ritualiser.
- Injecter l’art dans les sciences dures et les maths dans les arts.
- Combiner des cartes.
- Faire toute la bibliographie en hyperliens pour faciliter l’accès. Travailler avec une bibliographie spéculative.
- Redéfinir les erreurs et corriger ce texte.
- Changer d’approche.
- [ composition ] comme sujet -vers-> [ composition ] comme pratique.
- Valoriser les trous, les lacunes. Il y a un potentiel génératif, et pour la création et pour la réception.
- Traiter les axiomes comme des vérités provisoires ou règles du jeu.
- Composer d’autres lignes directrices, et jouer avec.
Confusions Productives
Les mots sont fatigués.
Les phrases aussi sont fatiguées.
C’est peut être moi qui suis fatigué·ε.
J’ai envie de donner de l’espace pour que tous les mots que je choisis respirent.
Je lance une expérimentation géologique, extramorale, du monisme dualiste de la tradition=trahison.
On vide d’abord complètement le sens des mots.
Avec son chat, Schrödinger a ramolli l’axiome du tiers exclu : être et ne pas être : voici la nouvelle question ontologique.
Vous connaissez la dichotomie ser/estar du verbe être en portugais ?
Un éléctron est (está) un éléctron.
J’écris des phrases-paragraphes transitoires, éphémères, comme des électrons.
Je est )peut être( toi aussi.
L’inverse de la parenthèse.
Imagine, écrire une thèse uniquement à partir des parenthèses?
L’inverse de l’infini est zéro.
Distordu selon des transformations conformes.
Passages-secrets du second degré. Du discours indirect. Je dépouille l’argumentation.
« spéculatif » est devenu un adjectif encapacitant.
What if…. our set of tacit assumptions were made explicit, axioms from the ground up.
Include « this » in class Manifesto.
From indeterminism v12.3.5.0.1 import Heisenberg.
Which determinism are they talkin’ about ?
J’ai écrit tout un livre autour de ça.
Je m’intéresse à construire des Formalismes opératoires.
D’ailleurs, tous les adjectifs et adverbes peuvent être aussi encapacitants.
Incorporer les dimensions [ biologiques et métaphysiques ] du mot [ création ] à [ ce que la recherche-création peut vouloir me dire ] .
Et je laisse des trous, de l’espace pour l’évocation d’imaginaires, pour l’auto-complétion.
Je trouve que le texte commence à respirer, regagner son…
Ah ! J’ai une parenthèse à faire !
Ceci n’est pas un jeu, mais ses règles sont encryptées, on va devoir les déchiffrer.
Dans une bulle axiomatique, quelqu’un prend la parole, les autres écoutent. On pose et compose des graines de pensée à partir des opérations qui nous intéressent.
La bulle bifurque.
Poser une nouvelle règle redéfinit les frontières des bulles axiomatiques.
La composition en temps réel de João Fiadeiro et l’astuce de Wittgenstein, des jeux en dialogue.
Le fait que les maths sont apprises différemment à une partie et à l’autre de la population est un projet politique, pour dépotentialiser l’une des parties de la population.
Une partition (diviser en parties) est une définition importante en mathématiques, relative aux classes d’équivalence.
Une partition de danse ou de musique divise le temps en parties, occupées par des actions.
Égalité, équivalence, ordre, sont des formes de comparaison entre des choses. Identiques ou non. Isomorphique ou non. Homéomorphique ou non. Homotopique ou non. La théorie des catégories commence à regarder ça avec plus d’attention.
Pour que l’analogie entre certains objets puisse avoir lieu, il ne faut pas oublier d’oublier certains détails.
Je dois tricher ici, faire semblant que j’ai déjà écrit un livre ou texte que je compte écrire encore un jour.
« You will have to study me, to understand what I am saying. » ont dit les Maths.
Je, possédé par…
« J’écris un texte plein de serrures, à la place de donner les clefs de lecture. Posez-moi des questions et je vous répondrai. » dit le texte, en écrivant un autre texte.
Follow the money! Il faut payer pour accéder aux textes.
Il y a un dialogue à l’intérieur de chaque atome.
Oui, on est fait de poussière d’étoile tressée.
« Dieu est un homard […] Dans une strate il y a des doubles-pinces partout, des double binds, des homards partout, dans toutes les directions, une multiplicité d’articulations doubles qui traversent tantôt l’expression, tantôt le contenu. » ont écrit Guattari et Deleuze.
La zone d’intersection entre toutes les disciplines n’est pas très habitée.
Lorsqu’on exclut la loi du tiers exclu, on se rend compte de la profusion de paradoxes qui ont été ignorés par ce principe.
La richesse dans les déchets.
J’écris avec les trous.
Ce texte est encore en train de s’écrire.
Tout est tresse.