brouhaha vocal organisé

Depuis le premier jour, je mène ma recherche par une méthode de notes. Je note dans mon téléphone, dans des carnets, des bouts de papier tout ce qui me passe par la tête, toutes mes idées, mes désirs, mes craintes, mes ordres et conseils au sujet de mon projet. C’est ainsi que je compose tous mes écrits qui font office d’enregistrements sonores.

 

 

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Je ne suis pas à ma place – Texte performatif présenté lors de la fin de session à l’UQO, fin décembre dernier (le texte en orange est prononcé hors de l’enregistrement):

Néant. Profondeur. Non-répit. Comme un bad trip.

Légitime. Légitimité. Est-ce que c’est ma réalité ?

Tétanisée. Désœuvrée. Désarmée.

Désarmée d’armes jamais armées.

Un flou constant, toujours distant. Intangible. Sur l’horizon. Sans fin.

Seule. Il fait nuit à 16h30. Je me sens seule. Je suis oppressée. Et il fait nuit si tôt. J’ai peur de tout.

Matérialité. Tangibilité. Palpabilité. Crédibilité.

Je ne suis pas à ma place.

Je n’arrive pas à matérialiser ce que je veux. A visualiser la chose. A la toucher. A l’attraper. A l’exécuter. A m’en emparer. A l’habiter. A la posséder. A la respirer. A la consommer. A ne faire qu’un.

Je n’arrive pas à me laisser aller. Me laisser faire. Me laisser voir. Me laisser tenter. Me laisser prendre. Me laisser croire. Me laisser respirer. Me laisser me prendre une claque. Me laisser être bousculée. Me laisser me vautrer. Me laisser me ramasser. Me laisser ramper. Me laisser galérer. 

Je n’arrive pas à me laisser aller.

Je me suis enfermée dans une boite cartonnée à six faces et je ne sais pas comment en sortir.

Je suis comme bloquée dans une voix à sens unique, une one way. Et par peur de me prendre l’amende, je ne fais pas demi-tour. Inutile de revenir sur ses pas. Je ne prends pas part dans les « re ». On ne refait pas. On ne revit pas. On ne ressuscite pas. On ne « re » pas. Je ne « re » pas.

Je, c’est tout. Je, c’est tout. Je, c’est tout.

Comme ces derniers mois passés au Canada, depuis que je suis arrivée c’est une one way jusqu’au vol retour, jusqu’au 28 décembre où je prendrai le sens interdit.

Je ne suis pas à ma place.

On me dit qu’il ne faut pas perdre le temps qu’il me reste ici, un temps précieux. Préciosité. Particularité. Rareté. Tout est compté. C’est dans une bribe, dans ces moments de doutes que le néant se troue.

Troué, une réalité prend place dans la noirceur. Une réalité peut-être atteignable.

Je raconte ma vie mais qui veut ça ?
Elle est où la performativité là-dedans ?
Elle est où la recherche création ?

Parce que je suis perdue.

Parce que je suis perdue ?

Je ne peux pas m’empêcher de me questionner sur ma légitimité à être là, à travailler dans le milieu de l’art. Milieu vaste.

Un milieu aussi vide que plein. Aussi tangible qu’intangible. Réel qu’irréel. Passionnant que désastreux.

Entre ces entre-deux, où inscrire son nom ?

Est-ce que je manque de maturité ? D’expérience ? De savoir-faire ? De qualités ? D’imagination ? De folie ? De sérieux ? De réflexion ? De confiance en moi ? De confiance en mon travail ? En mon potentiel ? En mon avenir ? En ma personne ? En mon existence ?

J’ai des jours où j’ai l’impression de devoir apprendre à respirer.

Apprendre à me considérer.

Apprendre à vivre.

J’habite ma détresse. J’habite tous mes doutes. J’habite tous mes vacillements. J’habite tous des tremblements. J’habite tous mes craquements. J’habite tous mes oscillements.

Je ne suis pas à ma place.

Je fais des rêves qui se rapprochent tellement d’une réalité inespérée que je ne fais que me réveiller toujours plus éteinte. Plus éteinte que de ne pas être ne serait-ce qu’à un échelon de cette potentielle réalité.

A un moment donné il faut savoir arrêter le cercle vicieux. En sortir.

Je suis obsédée par cette crainte. Ça me fige. Ça me crispe. Ça me glace. Ça me gèle. Ça m’en marbre. Ça m’en pierre.

Je suis incapable de faire quelque chose dans ces moments-là. Des moments un peu trop quotidiens à mon goût, dans ces moments de lucidité.

Perdue. Confuse. Frustrée.

Déambuler. Vaciller. Onduler. Vriller.

Réalité alternative.

C’est dans la cadence que je dois m’embarquer.

Embarquer à bord du navire. A bord du borderline. Au bord de l’illusion.

De l’illusion que j’ai toujours, que je n’ai jamais arrêté de façonner.

L’illusion d’une fin du monde. De la fin de mon monde. Être juste au bord. A la limite de la cassure. A la limite du gouffre. A la limite de la catastrophe. A la limite de la déchirure. De la brûlure. De l’arrachement. Du désossement. Du démembrement. De la décomposition.

Avoir la voix. S’animer d’une voix. S’emparer d’une voix. Rendre la voix familière. La familiarité d’une voix. De sa voix. Sa voix comme précieuse. Sa voix comme singularité. Sa voix comme la voie à sens unique. La one way.

Je suis à ma place.

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Qu’est-ce que la médiation de la voix et du corps ?

Qu’est-ce que le jeu de la voix et du corps ?

Qu’est-ce qui fait qu’elle a lieu ?  

Comment la médiation de la voix et du corps permet-elle de défaire la limite entre l’expression vocale et corporelle ?

Cette performance cherche à connecter mon geste interne à mon geste externe.

En quête de ce geste vocal, je me suis perdue en chemin. J’ai perdu ma question, la raison de ma recherche, je me suis perdue. Je me suis égarée dans un champ de maïs, bien loin de Gatineau et toute la réalité. Je me suis égarée de moi-même.

Mais c’est finalement dans ces moments d’égarement que j’ai trouvé l’inspiration et des débuts de fils rouges dans ma recherche. Continuellement. C’est dans l’angoisse, dans ma vision trop élargie d’un tout, de toute ma vie, que je retombe sur mes pattes. Je retrouve une bribe de sens à ma pratique.

Je ne cesse de me questionner, de rédiger, d’élaborer mon protocole, qu’est-ce que mon protocole créatif ? Qu’est-ce que j’entends par là ? Qu’est-ce que je cherche à atteindre ? Ce protocole bien trop convoité, je crois qu’il a toujours été là, il réside dans mes vacillements. Dans ces moments de fragilité, de fébrilité. Un protocole fébrile. Un protocole basé sur la cassure. La cassure d’un espoir. La cassure d’un désir. La cassure d’un rêve. La cassure d’une légitimité.

Je me questionne sur la voix que j’interprète dans ce milieu artistique. La voix que je peux apporter. Suis-je une imposteure ? Suis-je en droit ? Suis-je véritable ? Suis-je authentique ?

Mon texte faisait part de ma vision étroite de ce qu’est la recherche-création dans mes moments d’angoisses, un allé simple. Quelque chose qui ne se refait pas, qu’on ne peut réaliser que d’une traite, d’un essai et si c’est raté, c’est que ça devait en être le résultat.

Le travail d’un autre étudiant m’a fait écho. Il abordait la question de l’échec et cette notion d’échec me renvoie à beaucoup de mes expérimentations, j’ai du mal à trouver la satisfaction dans mes travaux. Je me dis qu’ils auraient toujours pu être faits différemment, poussés plus loin. C’est un aspect fort dans mes écrits, mes rendus : la peur d’échouer, la peur de ne pas réussir à transmettre, à faire sens, à rendre d’une réalité. Montrer comment ma pratique, à travers une performance, relève d’une réalité alternative à ma réflexion. Ma pratique relève de mon intime, de moments très vrais et purs sur mes pensées angoissées, ma réflexion incessante, inépuisable. Des questionnements, des craintes qui tournent en rond.

J’aime penser que cette performance a été réalisée comme un dialogue. Qu’elle a fonctionné sous les codes de l’échange, du dialogue. Un dialogue avec moi-même. Un dialogue est amené à se développer sans sa réflexion, dans le sujet de conversation, cela abouti à une solution ou à un autre cheminement de pensée. Il y a évolution ou régression. Mais il ne stagne pas. Mon écrit stagnait-il ? Est-ce que je finis ailleurs que là où j’ai commencé ? Autant dans la performance physique que vocale, je finis ailleurs. Je ne savais pas d’avance où mais j’ai terminé ma performance autre part que là où je l’ai commencé, à quelques mètres. Et mon texte conclut « Je suis à ma place » après plusieurs « Je ne suis pas à place », il y a évolution. Cependant le terme de dialogue comprend un dualisme, une binarité, une bi-présence, est-ce qu’échanger avec sa réflexion, son conscient ou inconscient, c’est dialoguer ? N’est-ce pas seulement tourner en rond ?

Je va-et-vient comme mon esprit, comme quatre-vingt-dix pour cent de mon texte. Tout est quotidien, tout m’est quotidien. Je suis happée par la routine, elle est la source de toutes mes inspirations, de tous mes débuts d’idées, de toutes mes fins d’idées. Alors je va-et-vient.

J’ai toujours écrit dans le vent, dans le cosmos, dans le rien, je n’ai jamais conçu ni porté d’importance à l’espace. L’espace dans lequel mon texte résonne, dans lequel je laisse ma voix se balader, prendre place. Je pense temporel mais pas spacio. C’est une résolution à prendre pour cette nouvelle année qui approche à grand pas, écrire selon et pour l’espace, penser l’espace dans l’écriture. Jouer avec le son et les mots selon ma position spatiale. Amplifier et assourdir le volume, la voix, les mots, les phrases, les murmures, les cris, les pas, les déplacements, les arrêts, les accélérations.

Sur une performance plus longue, j’aurais été tentée de changer de rythme. Mais cette monotonie fait sens et est synonyme de ce qui est dit, de ce que l’enceinte rythme.