VU IZ BESSIE?

“Under a cold sky in the barren desert of our cultural life, a puppet theater is growing” –A. MUKDONI (MUKDOYNI)

 

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En regardant des photos du duo de marionnettistes à l’origine du théâtre de marionnette Yiddish qu’on appelle le “MODICUT”, je m’aperçois qu’iels étaient trois.

Amol iz geven, Zuni Maud et Yosl Cutler, immigrants juifs polonais à New York, créaient ensemble des décors pour le Yiddish Art Theater, théâtre en Yiddish dirigé par Maurice Schwartz. Suite au rejet de marionnettes qu’ils proposèrent pour une mise en scène de Di kishefmakherin (The Sorceress), une pièce d’Abraham Goldfaden, Yosl et Zuni se mirent à utiliser leurs marionnettes à leur compte, d’abord pour amuser la galerie, au café, puis dans une ancienne usine de vêtements à Manhattan. 

Ce que j’ai appris sur cette entreprise yiddishiste, je le tiens en grande partie du travail d’Eddy Portnoy, expert en culture populaire yiddish et à l’origine de la plupart des articles publiés sur le sujet. Je croise souvent Eddy aux archives du Yivo (institut de recherches juives) où j’ai commencé un stage le mois dernier. Je n’ai pas encore osé lui parler de mon projet, principalement parce qu’il s’est en partie désengagé en réaction à l’un de ses articles, intitulé “MODICUT: The Madcap World of Zuni Maud and Yosl Cutler” cosigné par David Mazower.  On y trouve une photo sur laquelle posent trois marionnettistes, manipulant cinq marionnettes articulées. À gauche, Yosl. À droite, Zuni. Et au centre, surprise, une femme qu’on s’étonne à trouver là puisqu’elle n’a pas encore été mentionnée dans l’article. Bessie. C’est la seule des trois à regarder la caméra. 

Eddy Portnoy faisant une présentation sur le MODICUT après le spectacle MUNTERGANG and Other Cheerfull Downfalls, une production de Great Small Works. 

Cette photo m’obsède. Dans les archives du YIVO, alors qu’on me demande de faire l’inventaire des papiers de la famille d’Harold Rosenberg, critique d’art dans les années 1930 qui n’a rien à voir avec mes marionnettistes, je ne peux pas m’empêcher de chercher Bessie Maud partout. En en discutant avec mon amie Rafaële Nix, historienne de formation, je prends conscience de l’importance de la pose de Bessie sur cette photo. En 1932, la photographie est certes plus accessible qu’avant. Les familles bourgeoises peuvent posséder un appareil et la photo d’identité existe déjà. Avoir son portrait imprimé n’est plus réservé à une élite ultra minoritaire. Cependant, cela reste un moment exceptionnel. Il n’y a rien d’anodin, me dit Rafaële, au fait que Bessie manipule une marionnette sur cette photo. 

“Ce n’est qu’une hypothèse, mais lorsqu’ils ont été invités à tourner en URSS, ils ont emmené ma tante Bessie avec eux. Elle avait été la petite amie de Zuni, et quand elle a eu la tuberculose, Zuni a demandé à son frère Zaydl s’ils pouvaient lui emprunter de l’argent, pour qu’elle suive un traitement à New York. Zaydl lui a répondu “OK. Je te prête l’argent, mais j’épouse Bessie.” Et c’est ce qui s’est passé.  Après ça, Zuni ne s’est jamais marié. Il n’a jamais cessé d’aimer Bessie. C’est une drôle d’idée d’aller en Europe avec un trio aussi bizarre. Je ne sais pas si Bessie était douée pour la marionnette. C’était juste une belle femme. La belle de la Second Avenue..”* -Abe Rosman, neveu de Bessie et de Zuni Maud.

Après leur séparation en 1935, Yosl Cutler part seul avec ses marionnettes qu’il a décidé d’emmener à Hollywood pour y faire un film. Il mourra avant d’en avoir l’occasion, mais laissera derrière lui un film d’une vingtaine de minutes, désormais conservé par le National Center for Jewish Films de l’université de Brandeis.  

 

screenshot 1 de Yosl un Zein Marionetn, courtesy of NCJF Brandeis. 

Ironiquement, la première des trois saynètes de Yosl met en scène un couple juif modeste : Simche et Pesi, deux marionnettes aux dents tordues, qui chantent, dansent et se chamaillent. Simche chante les louanges de “Sheyne Pesi”, sa compagne, qui le soutient malgré ses échecs à répétition. 

screenshot 2 de Yosl un Zein Marionetn, courtesy of NCJF Brandeis. 

Partout, ce film est présenté comme le spectacle solo de Yosl Cutler. Et pourtant, lorsque les marionettes de Simche et de Pesi se rencontrent dans le castelet, il y a bien deux voix qui s’élèvent, non seulement pour dialoguer mais également pour chanter en duo. Est-ce Bessie, cachée derrière Pessi ? Ou bien une autre personne également éclipsée par Cutler et oubliée par la littérature sur le sujet ? 

 

Bessie et ses marionnettes, a purimshpiel? 

En 2016, la compagnie de marionnettes Great Small Works produisait “Muntergang and Other Cheerful Downfalls”, dans lequel les performeur.euses racontaient en yiddish et en anglais l’histoire de Yosl Cutler et de Zuni Maud, enrobée d’inventions et de magie. Le spectacle de marionnettes que je souhaite créer s’inscrit dans leur lignée. Centré autour du mythe de Bessie Maud, basé sur des miettes d’archives et sur celles, fictives, que j’injecterai. 

*sauf autrement précisé, les traductions sont de moi 

EN PJ:

  • extrait d’une lettre pour Bessie 
  • début de script pour le purimshpiel à venir 

 

Sources : 

https://www.yiddishbookcenter.org/language-literature-culture/pakn-treger/pakn-treger-number-79/modicut-madcap-world-zuni-maud-and

https://epdf.pub/puppets-masks-and-performing-objects.html

https://www.museumoffamilyhistory.com/yt-modjacot.htm

https://www.wbur.org/news/2016/06/03/great-small-works-muntergang

https://anthropology.barnard.edu/news/remembering-abe-rosman-anthropology-professor-emeritus-barnard-college-columbia-university