MOUVEMENT II. ODETTE | RHAPSODIE POUR LES DISPARUS

MOUVEMENT II. ODETTE | RHAPSODIE POUR LES DISPARUS

Performance-présentation d’un fragment de la “Rhapsodie pour les disparus”, en réponse à l’entretien avec mon père Rabih sur ses récits de disparitions, en particulier celui d’Odette et de ses enfants, au cours de la guerre civile du Liban de 1975-1990

DEUXIÈME VOLET D’UNE SUITE DE TROIS CRÉATIONS, PRÉSENTÉES DANS LE CADRE DE MA RÉSIDENCE AU ACTS OF LISTENING LAB, CENTRE FOR ORAL HISTORY AND DIGITAL STORYTELLING, CONCORDIA UNIVERSITY, MONTRÉAL, QC, CANADA. 8 OCTOBRE 2021


Composition/Arrangement/Mise en scène

Jad Orphée Chami

Musiciens/Performers

Jad Orphée Chami – EXPRESSION CORPORELLE, CONTRÔLEUR MIDI INTERACTIF PAR LE TOUCHER, PIANO, ÉLECTROACOUSTIQUES

Zeina Ismail-Allouche – HEADPHONE VERBATIM/TRADUCTION SIMULTANÉE DU TÉMOIGNAGE DE RABIH CHAMI


1:53 – 10:20 : ODETTE ET RABIH

10:30 – 16:15 : AATINI AL NAYA WA GHANI (DONNE-MOI LA FLÛTE ET CHANTE)

16:26 – 18:55 : ODETTE ET INSAF


https://youtu.be/7K9EXz38wTw


Rappel du contexte des disparus au Liban

En 1990, à la fin de la guerre civile au Liban, le bilan s’élevait à 150 000 morts, des centaines de milliers d’exilés.e.s et 17 000 disparu.e.s. Contre toute attente nationale et étrangère, les chefs des milices responsables des conflits qui ont ravagé le pays pendant quinze ans n’ont pas été jugés et sont depuis les membres constituants du gouvernement libanais, ce qui leur donne donc une immunité face aux crimes du passé. Cette page tournée a cependant négligé le crime continu que représente la disparition de milliers de civils libanais.e.s, mais aussi de refugié.e.s palestinien.ne.s dont le sort a été encore davantage oublié. La plupart des familles des disparu.e.s savent malgré l’absence de certitudes que leurs proches ne reviendront pas. Toutefois, l’absence d’avis de décès et le manque d’information volontaire de la part des responsables de ce crime de guerre concernant le lieu où les corps des disparu.e.s se situent créent une attente sans fin pour ces familles. C’est ce deuil inassouvi qui constitue la violence perpétuelle exercée contre ces familles jusqu’à nos jours.

 

Positionnement

Je n’ai pas accès à la mémoire de la guerre civile que je n’ai pas vécue et la mémoire des événements que j’ai vécus est par la suite fragmentée et incomplète. Les récits des familles des disparu.e.s sont incomplets et stagnent entre une certitude du départ définitif des proches disparu.e.s et une autre certitude que seule la possibilité d’enterrer leurs défunts les libérera de cette attente perpétuelle. Face aux témoignages des familles des disparu.e.s, mes parents m’ont dévoilé pour la première fois des fragments de leurs souvenirs de la guerre civile ce qui m’a permis d’entrer en dialogue avec leurs récits et de compléter les miens. De plus, le drame des disparu.e.s. est peut-être l’un des seuls crimes de la guerre civile qui a touché toutes les communautés du Liban. Si le chemin vers la réconciliation est possible, une justice pour la mémoire commune que représentent les disparu.e.s doit être faite.

 

Pourquoi la rhapsodie?

Les racines étymologiques de la rhapsodie nous ramènent à l’acte de coudre, de tisser des liens entre les morceaux, à priori, incompatibles. Pour faire cela, il s’agit dans un premier temps d’explorer les liens entre le témoignage et la musique, depuis ma perspective de musicien, en invoquant autant la composition musicale, la performance et l’histoire orale, avec les nouvelles technologies comme point de rencontre. Dans un deuxième temps, il s’agit de proposer une démarche éthique qui permettrait ce dialogue entre les témoignages des familles des disparu.e.s et les miens en m’inspirant des méthodologies autochtones du contrôle de connaissances afin que la performance soit un espace de partage et non pas un espace d’appropriation.

 

L’ébauche du fragment Odette

J’ai eu l’occasion depuis mon séjour de recherche à Beyrouth en 2020 et mon séjour académique à l’École Universitaire de Recherche ArTeC en 2021 à Paris de laisser murir la rhapsodie qui arrive au stade où la place centrale des nouvelles technologies est plus qu’évidente. J’ai eu l’occasion ces derniers mois d’explorer davantage le rôle médiateur des nouvelles technologies au sein du Acts of Listening Lab où j’ai créé des ébauches du projet sous forme d’installation, de performance et de workshop. Dans le fragment “Odette”, l’utilisation d’un contrôler midi par le toucher playtronica (qui permet la fluctuation des notes par le toucher) me permet d’incarner ce dialogue entre la musique et le témoignage au sens le plus littéral : par le corps, le mouvement et le contact avec l’eau, élément central du projet faisant écho à la mèr/e, et le reflet qui en découle qui fait appel à l’auto-performance que j’explore tout le long du projet. De plus, la mise en scène devient également un terrain d’expérimentation au service du témoignage. L’utilisation de la projection sur le sol de la carte de Beyrouth post – explosion du 4 août 2020, moment clé, me permet de me situer et de situer le public au cœur du lieu des disparitions. Dans ce passage, j’éparpille les câbles sur les lieux de disparition et je tente de performer la recherche des disparu.e.s sur ces lieux désormais porteurs de musique, de traces. À travers des instruments virtuels tels que le nay, la flûte levantine, je puise dans l’utilisation du contrôleur comme moyen de répondre aux récits par la musique et par le corps. Les récits sont issus d’entretiens d’histoire orale que j’ai effectués avec mes parents, mais aussi avec Wadad, la fondatrice du comité des familles des disparu.e.s au Liban. Enfin, la question du sample et de “l’auto-sample” est centrale : dans un premier temps, l’arrangement de la chanson Aatini al naya wa ghani de Fayrouz, la “mère des Libanais”, me permet d’explorer la mémoire que portent les chansons d’un Liban utopique tout en déréglant la mélodie, sans paroles, que nous connaissons par cœur depuis notre plus jeune âge. L’idée de “l’auto-sample” a d’abord été explorée dans un projet antérieur, intitulé “Lamentation”, pour lequel j’ai intégré mes propres archives sonores et mes compositions antérieures en réponse aux témoignages des survivantes du massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Dans la suite de mon travail, j’explorerai davantage le rôle du sample et de l’arrangement musical dans le positionnement face aux récits de vie et à la mémoire.