Marché du sample en ligne

L’émergence récente de plateformes numériques spécialisées dans la vente de packs de samples ces cinq à dix dernières années a sans nul doute refondé le sampling comme façon de produire la musique. J’ai donc décidé de me pencher davantage sur ces services, en particulier Splice, leader sur le marché. 

Je me suis intéressé au discours marketing qui entoure certains packs de samples chez Splice. Ma question était la suivante : par quels arguments vend-on un son destiné à la création musicale ? Avec l’aide des théories de l’écoute de François Bonnet, j’analyse ces discours de vente comme des façons d’orienter l’écoute du musicien-producteur. Le sample promet et cette promesse peut être possédée. 

Une autre promesse tenue par ces plateformes est celle de la démocratisation de la production musicale, notion qui s’insère dans le thème plus large de la musique assistée par ordinateur ayant drastiquement réduit les coûts d’accès à la création musicale ces trente à quarante dernières années. Mais quelle logique économique se niche réellement derrière cette industrie ? En particulier, qui sont les créateurs de samples, et comment sont-ils rémunérés par ces plateformes ? Je ne traite pas cette question ici, mais il s’agit d’un autre versant de ma recherche.

C’est ici pour l’écoute du podcast (4:40) accompagnant Ce texte

L’extrait d’introduction provient de : 

Theo Parrish en conversation à la Red Bull Academy à Seattle, en 2005.

Musiques utilisées : 

  • 00:25 Jon Watts – AMB 4 – Music for 3 CDJ’S –  Butter Sessions
  • 03:10 Kassel Jaeger (François Bonnet) – Prismatic Haze – Le Lisse et le Strié –  Latency 

A l’automne 2021, ma recherche s’est recalibrée. Il me semblait nécessaire de développer une définition actuelle du sample compris dans un environnement numérique particulier, celui de la plateforme de téléchargements de samples Splice.

Définir le sample dans ce contexte, c’est tout d’abord considérer l’échantillon sonore comme un produit, un matériau sonore comme bien de consommation. Sur Splice, le sample s’achète en crédit, lequel s’obtient après souscription à un abonnement. L’acquisition du sample est alors soumis au choix opéré par le consommateur lorsqu’il possède des ressources limitées. Splice joue principalement le rôle d’intermédiaire entre l’offre et la demande de samples. Différents « labels » (106 au total) mettent à disposition leurs packs de samples, ainsi que d’autres produits tels que des presets pour instruments virtuels (VST).

L’entreprise américaine a mis en place un climat compétitif qui se traduit notamment par un classement des sample packs les plus téléchargés et la mise en place de Splice Awards récompensant chaque année le sample et le sample pack le plus téléchargé. Je ne connais pas pour le moment le mode de rémunération des studios et les facteurs agissant sur la visibilité des sample packs sur la plateforme. Les studios sont-ils rémunérés au téléchargement ou selon d’autres modalités ?

Il demeure qu’en tant que produit, le sample intégré dans son paquet fait l’objet d’une stratégie marketing. Le titre du sample pack, sa « pochette », le nom du studio l’ayant produit et son « genre » sont les premiers indicateurs de son contenu et le premier contact entre le consommateur et le produit. Quelques exemples ci-dessous (fig.1) :

fig.1. Page d’accueil de Splice

Ces quelques informations sont la porte d’entrée dans l’univers sonore du sample pack. Un clic mène ensuite à la page du pack en tant que tel, qui se présente comme tel (fig.2):

fig.2. Page internet du sample pack “Minimal Techno” sur Splice

Ce qu’on l’y observe, c’est un texte dépliant de présentation du pack, la possibilité d’en écouter un extrait (quelque fois accompagné d’une vidéo de présentation) puis en dessous les samples pré-écoutables et téléchargeables.

Pourquoi s’intéresser au discours et à l’identité visuelle qui emballent les sample packs dans le cas de la plateforme Splice ?

Profitons-en ici pour faire un crochet par les théories de l’écoute. Dans Les Mots et les sons, François J. Bonnet insiste sur la notion d’écoute désirante. « L’écoute est toujours dirigée par des intentions qui se fondent avec elles1 » dit-il. La fusion de l’intention d’écoute et du sujet de l’écoute transforme le sonore en audible. La mise en audibilité du son vise à posséder le son, à en faire usage en tant qu’instrument de jouissance. « L’écoute désirante, c’est l’écoute qui perçoit, dans l’objet qu’elle vise, une promesse 2».

Dans cette perspective, le sample en tant qu’objet en devenir est une promesse réifiée. Peu importe le contexte médiatique, opérer un choix de fragment sonore dans une visée artistique revient à déceler ces promesses, à figer ces désirs d’écoute dans un acte de possession physique du son. En d’autres termes, le choix du sample est l’affirmation du goût. La promesse d’écoute, ajoute François J. Bonnet, est indicible. « Cette promesse est indicible car elle est tout autant tournée vers la réalisation de l’objet que vers l’accomplissement de la visée, l’épanouissement de l’écoute3 ».

En particulier grâce aux notions d’intention de l’écoute, de possession et de promesse, la théorie de l’écoute désirante de François J. Bonnet est un outil utile à la compréhension des stratégies marketing des studios de production de sample, chez Splice et ailleurs. En réutilisant au sein de leur communication des codes culturels propres à divers genres et styles musicaux, ces studios de production ont pour but de prédisposer le consommateur à une posture d’écoute.

L’écoute n’est jamais en lien direct avec le son, il y a toujours un prétexte, un contexte, une conduite, qui la prédéterminent. Elle est le « suppôt » d’un échafaudage discursif dont la duplicité est souvent de prétendre retourner au son lui-même, là où ni s’établit que dans un rapport ustensilaire, là où il ne produit l’écoute que pour y déceler les mots qu’il a lui-même en bouche4.

Cette autre citation de François J. Bonnet nous éclaire sur le but d’une telle « mise en valeur » du sample : confirmer l’utilisateur dans le fait que le son présenté répond à sa conception de l’écoute. Prenons comme exemple le sample pack “Dungy Bins” du studio Soul Surplus destiné à des producteurs de musiques hip-hop est présenté ainsi :

Digging is synonymous with hip-hop culture. The producers and DJ’s who put the genre on their back have popularized the art of digging for records into a past-time for any one who takes the craft seriously. In order to bring back the feeling of finding that diamond in the rough, we created the Dungy Bins sample pack, our newest collection of sample loops with all the right dust and dirt on each and every sound. Every producer who samples has a tendency to pride themselves on those “rare finds”5.

Intention : Après avoir lu ce texte de présentation, l’auditeur est censé orienter son écoute vers ce qui sonne « rare » dans le son. L’inaccessible devient audible.

Possession : L’inaccessible est non seulement audible mais peut aussi se posséder, physiquement via le téléchargement mais aussi symboliquement. Le « rare » devient une forme d’onde transmettant un message sonore bref, le sample. Le rare en tant que phénomène sonore est mien car je comprends son origine culturelle fondée dans la culture du digging et du hip-hop.

Promesse : Le sample est certes mien, mais son statut d’objet en devenir le projette dans une existence future dont je suis le garant. A ce stade, la promesse du son n’est pas encore tenue.

Ces prismes analytiques permettent de répondre à la question : vers quoi mon oreille est censée tendre ? 

1François J. Bonnet, Les mots et les sons. Un archipel sonore, Editions de l’éclat, 2013.

https://splice.com/sounds/soul-surplus/dungy-bins5

Les captures d’écran constituant la vignette de l’article proviennent de: https://samplemarket.co.uk/, https://splice.com/sounds, https://www.blastwavefx.com/, https://www.youtube.com/results?search_query=how+I+made+sample+paks, https://samplesfrommars.com/