How to become popular at a gay bar 

Quand je suis arrivée à Rome, j’avais tout compris de travers : la date de début des cours, la date de fin des cours, le prix de mon appartement. Tout était tordu, Rome est énorme et je ne parle pas un mot d’italien. Je pensais commencer les cours cinq jours après mon arrivée, ça me rassurait. Le deuxième jour ici, je reçois un mail « Final schedule and important information». Je clique et je lis : « Courses for the Design master’s program start on September 30 ». On est le 10 septembre quand je lis cette phrase. 

 

J’ai beaucoup marché, tous les jours. J’ai traversé la ville à pied, j’ai essayé de comprendre comment les quartiers sont reliés entre eux et comment les bus fonctionnent. La seule chose que je sais c’est ce que m’a dit mon coloc italien le jour où je suis arrivée dans l’appartement: « don’t pay for the transport card, you’ll never be controlled anyway. ». Avec ce seul conseil, je me suis aventurée dans les rues de la ville tous les jours. Mais je ne savais pas réellement quoi faire de mes soirées alors j’ai commencé à les raconter dans des petits fanzines, je n’avais rien d’autres qu’un stylo, des feuilles blanches A4 et je suis passé acheté des feutres. Le tout premier parle juste de ce que je comprend ici, à savoir pas grand chose. Puis j’ai commencé à avoir envie de trouver des bars lesbiens. Je me suis demandé comment je pouvais les trouver ici, dans quels quartiers ils étaient et s’il y en avaient. J’ai commencé par explorer internet, à regarder des forums. Certains datent d’une dizaine d’année et les bar ont fermé depuis. Sur le forum R/Rome sur Reddit à la question « are there any gay bars with a lesbian scene? » je lis cette réponse : « Sounds depressing but gay bars are considered a thing of the past, so the very established ones have all but closed down ». Je continue de raconter ces recherches dans mes petits fanzines et je reçois plusieurs messages de différentes personnes avec pleins de recommandations. J’avais donc des noms de bars ou de soirées, maintenant il fallait y aller. 

Après quelques jours, je me suis rendue compte que j’étais le personnage du film que je suis en train d’essayer de faire. 

Une jeune fille a prévu cette soirée depuis longtemps. Elle a écumé internet, essayé de comprendre comment tout marche, a regardé des heures de vidéos YouTube, a écrit sur Reddit. Ce soir elle se rend seule et pour la première fois dans un bar lesbien. 

Le film se tient en une journée et présente la montée en puissance d’un désir de navigation physique qui s’établirait d’abord par une navigation numérique. Le personnage se prépare à sa sortie dans un bar lesbien seule tout au cours de la journée. C’est alors naïvement se pencher sur des sites internet un peu loufoques pour ses derniers préparatifs jusqu’à en trouver un sur lequel s’aligner. Une liste de conseils trouvée sur Wikihow donnera alors la structure narrative du film : des conseils déguisés en chapitres donneront le ton à la navigation. Cela permet une forme de légèreté tout en induisant une dimension ludique au traitement des images. La journée filmée est aussi introduite par une voix-off ainsi qu’un visage filmé par la webcam – le mien, qui apparaît de temps en temps comme pour situer le personnage dans un rapport physique : une voix et un corps à l’origine du récit.

J’essaye vainement de me motiver à aller seule dans un bar lesbien pour rencontrer des gens et d’un coup je deviens tout ce que j’essaye de mettre en scène. Alors que j’ai passé des mois à me moquer gentiment de ce personnage que j’écris, je commence à la comprendre un peu mieux: c’est vrai que c’est pas si simple. Tout le film s’articule autour d’un tutoriel WikiHow que j’ai trouvé au cours de mes recherches « How to become popular at a gay bar », le personnage suit les étapes pour sa préparation à sa soirée, prévue depuis longtemps. Après avoir arpentée internet, à la recherche de vidéos YouTube et de forums, elle commence à se maquiller. 

 

 

Je me dis que je peux suivre les même étapes et que je peux retranscrire ces étapes dans mes petits livrets. Chaque numéro est un conseil du tutoriel WikiHow et ce que j’en fais dans la vraie vie. Ce que je faisais au début trop réfléchir est d’un coup devenu la trace matérielle de mes balades ici. Ces petites feuilles A4 d’un coup, deviennent des déambulations matérielles. Il faut que j’achète des timbres et que je les envoies en France, à plusieurs personnes pour que je puisse garder des vestiges de ces hésitations.

 

 

Il me bloquait ce film, je n’arrivais plus à m’y mettre, je re-regarde les images que j’ai déjà enregistré et je doute, je remonte quelques secondes, j’échange deux plans entre eux, CTRL Z, je reviens à la dernière version et je quitte Premiere pro, CTRL Q. C’est plus simple pour moi d’écrire, de mettre les mots sur mon ordinateur les uns à la suite des autres. Les images se mélangent, elles me donnent mal à la tête. Le problème, c’est que je ne sais plus quand je dois enregistrer mon écran, et quand je dois arrêter. Je (me) filme pendant des heures puis je regarde ce que ça donne et je les laisse les images traîner dans un dossier. 

Mais de comprendre un peu mieux ce personnage, ça a débloqué quelque chose, il fallait peut être que je quitte tous mes lieux préférés à Paris pour comprendre ce que c’est de n’avoir aucun.e ami.e lesbienne. Je ne sais plus trop où donner de la tête. J’ai l’impression d’avoir ouvert des centaines de liens internet, les uns après les autres et que je ne suis toujours pas devenue super populaire dans un bar lesbien… 

 

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