G.S.S – ALIGNER L’EXISTENCE ET LE NUMÉRIQUE

Contenu :

  • Introduction de l’idée de lien entre l’humain et la technologie
  • L’idée de la symbiose de l’humain et de la technologie
  • Dépendance et nécessité de la dimension numérique
  • Objectif – Art surpasse la nature (Robots, Illusions et Détachement)

Glossaire de l’article :

Holique – système qui a en lui la source et le principe de son mouvement

Téléologique – mécanisme qui vise à atteindre une fininalité

Design fiction – contexte narratif d’un œuvre  


Introduction de l’idée de lien entre l’humain et la technologie

À l’époque des philosophes de l’Antiquité, tels que Socrate et Platon, la technologie progressait, mais il y avait une différence avec la façon dont nous la percevons aujourd’hui. Pour eux, la technologie était une chose à utiliser pour créer, mais séparée de l’esprit humain. À l’époque, la compréhension de la technique n’était pas encore évidente en raison du manque de connaissance de la métaphysique et des outils avancés. Un changement s’est cependant opéré avec la révolution industrielle et plus particulièrement avec l’invention de la machine à vapeur en 1780. Ce fut la collision de la science et de la technologie pour créer de nouvelles machines qui ont fait progresser la technologie rapidement. Il a fallu du temps et de grands efforts pour que nous en devenions les maîtres, et cela s’est manifesté à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle par la répartition du travail, le fordisme et l’industrialisation. Plus tard, l’humanité a connu une révolution technologique avec l’arrivée de dispositifs informatiques tels que l’ordinateur et, en outre, un tout nouveau domaine de connaissance qui a non seulement élargi notre capacité d’apprentissage mais a également ouvert les portes à un autre état d’être au-delà des compréhensions archaïques que nous connaissons sous le nom d’Internet. De nos jours, nous percevons la technologie comme une extension de nous-mêmes, ce qui rend l’utilisation de la technique encore plus évidente et essentielle. Nous sommes beaucoup plus impliqués dans le processus de développement et de création, comme l’a montré l’évolution rapide de la technologie au cours des deux derniers siècles. Nous l’adaptons à l’esprit humain et vice-versa. Le développement de la technologie a progressé jusqu’à permettre un nouvel état de la métaphysique comme la réalité virtuelle. Peut-être qu’à l’avenir, l’esprit de la technologie et l’esprit des humains pourront être considérés comme une seule et même chose.

 

L’idée de la symbiose de l’humain et de la technologie

Bien que certains puissent à tort considérer le numérique comme une extension naturelle de nous-mêmes, il ne reste qu’un module extérieur artificiel. Pour l’instant, du moins. Cependant, le lien que nous créons avec lui est indéniable. Cette relation entre notre cerveau, nos organes et la technologie s’appelle l’organologie. Elle nous aide à créer une distinction et un passage de la réalité organique à la réalité organologique. Comme nous l’avons mentionné précédemment, un ordinateur ou un logiciel est un exemple frappant qui illustre ce lien entre notre système organique et un organe artificiel.

A ce stade, j’aimerais établir un parallèle entre l’organologie et la cybernétique fondamentale. Le mot “cybernétique” vient du mot grec “kybernan” qui signifie “diriger”. Le but de diriger quelque chose est d’atteindre un certain objectif. Naturellement, nous pouvons dévier de la trajectoire à cause des obstacles qui se présentent, il s’agit donc de regarder où nous sommes pour éventuellement nous corriger en fonction de cette trajectoire. C’est la propriété fondamentale de tous les systèmes intelligents. En termes simples, ce sont des systèmes de questions et de réponses visant à agir et à comparer les réponses à l’objectif de l’état final, capable de s’auto corriger. Comme dans une conversation : tu me comprends je te comprends, nous allons trop loin et nous essayons de revenir en arrière et de retrouver un terrain d’entente. Ainsi, on peut appeler cybernétique tout système holique téléologique. Cette définition nous sera utile pour la suite de l’article.

La relation est très similaire à l’organologie et à notre interaction avec les technologies analogues, comme l’électronique, les chargeur, etc. Mais elle l’est moins avec le numérique, un autre monde confiné dans nos écrans. Cet effet, pour moi, crée une rupture de la réalité, notamment du système de régulation émotionnelle. Bien sûr, on peut attribuer cette dysrégulation nerveuse au flux constant de l’information auquel nous nous exposons en ligne, or, il est difficile de nier cette idée. En revanche, notre système de fonctionnement en tant que civilisation est déjà passé à l’étape suivante, et, nous devons penser dès à présent à la manière de nous intégrer dans ce système et de le rendre optimal pour nos corps obsolètes.

 

Dépendance et nécessité de la dimension numérique

Il n’est un secret pour personne que notre environnement et nos conditions de vie ont radicalement changé au cours des trois derniers siècles, et plus encore au cours des 50 dernières années, avec l’invention du premier microprocesseur en 1971, de l’internet en 1983,  et la popularisation des ordinateurs personnels à la fin des années 1980.

Le livre Generations de Jean M. Twenge, professeur de psychologie à l’université d’État de San Diego et auteur de plus de 180 publications et ouvrages scientifiques, montre un déclin rapide de l’activité physique et sociale et une forte augmentation des médias sociaux et des divertissements virtuels chez les adolescents comme chez les adultes. Ces données sont en corrélation directe avec l’augmentation de la solitude et de la dépression. Bien que cette recherche se concentre sur la société américaine à partir des années 1930, les circonstances ne sont pas exclusives aux États-Unis.

De nos jours, de plus en plus de recherches et de technologies ont le même objectif : nous faciliter la vie. Par exemple, les médias sociaux et les textos. Au lieu d’être face à une personne à l’autre bout du fil, nous sommes, sans nous en douter, conditionnés à adopter un style de communication et de vie plus isolé. Le résultat est connu.

L’essor de la collecte de données et l’apparition de programmes et d’algorithmes plus sophistiqués ont considérablement sensibilisé les utilisateurs aux dangers potentiels pour la vie privée, tels que la surveillance et le contrôle des données. Les violations de données constituent également une menace majeure du 21e siècle. L’un des cas les plus importants est celui d’une violation de données dans le domaine de la santé aux États-Unis, chez Tricare, où 5 millions de numéros de sécurité sociale ainsi que des informations personnelles et des dossiers médicaux ont été dérobés. Des moteurs de recherche tels que Google, Yahoo et des médias sociaux, comme Facebook, ont également été victimes de fuites de données. Cela montre à quel point nous sommes devenus dépendants de la technologie.

Une théorie qui émerge face au progrès technologique est que les humains n’ont pas encore été équipés d’une caractéristique qui leur permettrait de s’aventurer au-delà de leur réalité par leurs propres moyens, qu’ils voient, et plus encore qu’ils ressentent, la rupture entre le domaine numérique et la réalité. Les médias sociaux sont-ils vraiment sociaux ? Si oui, comment se fait-il que les gens en viennent à ne plus se parler et à ne plus maintenir de contact physique. Il s’agit évidemment d’une exagération, mais les cas de ce genre sont bien réels et se multiplient chez les jeunes utilisateurs notamment.

Une étude sur l’utilisation problématique d’Internet publiée en 2021 dans Brain Sciences, une revue en libre accès sur les neurosciences publiée par MDPI, a fourni des opinions selon lesquelles “l’utilisation appropriée d’Internet dans les relations sociales” sert à réduire certains aspects de la communication ayant un impact, tels que l’anxiété, tout en aidant à renforcer les relations existantes telles que la famille. L’étude donne également une perspective sur la corrélation entre l’utilisation problématique d’Internet et des réseaux sociaux, qui comprend la préférence pour l’interaction sociale en ligne, la régulation de l’humeur par Internet, les conséquences négatives et le manque d’autorégulation et de compétences sociales dans la vie réelle, en particulier chez les jeunes étudiants d’une université en Espagne. Une autre étude discutée dans l’article, ainsi que des prédictions pour l’étude en question, ont montré que “l’âge était une variable prédictive de la régulation de l’humeur par l’internet et de l’autorégulation déficiente”. Toutefois, cela ne reflète pas la préférence des groupes d’âge pour les interactions en ligne plutôt qu’en face à face, qui s’est avérée être distribuée de manière imprévisible. En outre, un lien inverse a été mis en évidence, dans lequel les étudiants éprouvant des difficultés avec les interactions sociales ont donné la préférence aux interactions en ligne.

Dans ce contexte, il est discutable de penser que l’utilisation problématique d’Internet crée le problème et est intrinsèquement mauvaise, mais plutôt qu’elle est une conséquence et contribue à elle-même, sans vraiment fournir de solution à long terme. En d’autres termes, ou dans une autre perspective, elle crée un environnement détaché de la réalité physique, apaisant les individus tout en leur apportant un confort excessif.

 

Art surpasse la nature

Ayant travaillé dans le domaine de l’art et de l’art numérique en particulier, je m’intéresse beaucoup à l’exploration des possibilités des œuvres d’art et des installations complexes qui permettent une communication entre la machine et l’homme. En avril 2023, j’ai été invitée avec ArTeC à participer à une exposition d’art numérique à Laval, en France, pour présenter mes créations. Pendant une semaine intensive, nous avons travaillé en groupe, mais j’ai décidé de poursuivre mon travail en solo. C’est ainsi que l’installation “S-3” a été conçue et réalisée. “S-3” est une installation interactive générative qui s’appuie fortement sur l’idée du théâtre d’ombres. L’installation a été installée dans un passage isolé près de l’escalier principal, privé de lumière du jour et de bruits mécaniques. L’œuvre se compose de deux parties opérationnelles : une projection de 4 mètres x 2 mètres sur l’ensemble du mur du passage et mon ordinateur portable placé de l’autre côté du passage, face à la projection. L’œuvre elle-même prend l’apparence naturelle d’un miroir brumeux et flou, avec des gouttes d’eau qui coulent le long de l’écran, et dans les traces laissées par les gouttes, l’image claire est révélée.

Le scénario de design-fiction choisi pour ce projet serait un monde futuriste où la nature est difficile à trouver et où les gens utilisent des machines pour reproduire l’apparence naturelle. Les gouttes d’eau sont créées numériquement et générées en temps réel, ce qui renforce encore l’effet de vraisemblance. En outre, le fait d’être exposé dans un espace isolé et dans un miroir brumeux où le spectateur essaie de distinguer son propre reflet et ceux de son environnement, crée un environnement intime entre le spectateur et la machine. Remplacer la nature par des machines est le premier pas vers l’évolution artificielle. Nous pouvons confirmer indéniablement que l’homme a toujours recherché la beauté dans la vie.

Mais qu’est-ce que la beauté et comment la connaître ? Sans entrer dans des balades philosophiques, la réponse simple est que la nature telle que nous la contemplons, est l’essence de la beauté. D’où l’imitation de la nature dans l’art, selon Kant, une création dont la forme finale est le fruit d’une technique qui prend racine dans le génie, autrement dit le talent, donné par la nature. À l’heure des percées technologiques et biotechnologiques , il est difficile d’éviter la question de la symbiose organique et artificielle.

 

Robots et machines en nous

 

 

Selon Gilbert Simondon, philosophe et sociologue français, la question des technologies mythiques est prévalente afin d’établir l’essence de la machine et la nature machinale dans le vivant.

Le grand mythe des technologies vivantes est présent dans l’esprit humain depuis l’antiquité. L’homme est-il capable de créer comme la nature et de donner vie comme dieu ? De créer nos semblables, en y sacrifiant notre humanité et en nous cachant derrière notre fierté d’avoir érodé tout défaut dans les fruits de notre labeur : des machines animées ? Les robots, selon Simondon, ne sont cependant qu’une imitation de l’humain, construits à partir de son apparence au seul but de tromper et de créer l’illusion pour le spectateur. En revanche, suppose Simondon, une machine dont la fonctionnalité est d’accomplir une tâche en remplaçant l’homme créateur et non pas de mettre en scène une illusion pour le public, il appelle l’automate. Ceci, selon le philosophe, est une machine, capable de surpasser l’homme dans son efficacité en déterminant sa finalité et sa structure de fonctionnement, souvent très exigeante pour l’opération manuelle. Autrement dit, un système holique, qui a le principe et la source d’opération en lui sans l’intervention externe de l’homme.

Selon Gilbert Simondon, la machine ne peut pas être considérée comme ayant une âme ou une volonté, néanmoins, des mécanismes dit téléologiques, ceux dont le but est d’atteindre une finalité, peuvent posséder une capacité d’auto-réglage. Ce fait est expliqué par l’adaptation de la structure du mécanisme en fonction de son milieu et de l’information qu’il reçoit en le comparant avec le résultat attendu. De telle manière, on peut constater que la machine est capable de s’adapter en changeant sa structure afin d’atteindre sa finalité, mais pas ses méthodes d’apprentissage prédéfinis. Ainsi, une machine n’est pas créatrice de sa réalité ni de ses propres fins, néanmoins son autonomie limitée est analogue au vivant par ses principes. On remarque des mécanismes dans le vivant, un parallèle que fait Simondon dans son ouvrage est celui de la fonction automate d’une communauté exclusive, qui tient au cœur son intégralité et où chaque membre a son rôle pour assurer le fonctionnement de la structure. Une machine téléologique à son tour, peut être comparée à une société inclusive, prête à évoluer en accord avec ses besoins. Pourtant, cette complexité d’individu ne peut pas être atteinte dans la machine. Ici on observe, donc, que l’individu et la machine ont leurs propres tâches où il y a la cause, le moyen et la fin. Les deux sont axiomatiques, capables de s’adapter par une logique qui recherche et organise en système l’ensemble des structures. Par contre l’humain reconstruit son être même au niveau de son apprentissage pour définir de nouvelles problématiques. En cela il est opposé à la machine dont le fonctionnement est continu. Cependant l’individu perçoit des informations non homogènes et vise les problèmes, comprend l’objet et le sujet et non pas les questions de la machine homogène et définie dans sa finalité, analysante le résultat effectif et le constat visé.

L’adaptation de la nature à nos besoins modernes par la mise en œuvre de la technologie permettrait d’accueillir le numérique et de le laisser faire partie de notre réalité, alors que nous sommes assis à côté d’un arbre à panneaux solaires qui nous permet de recharger l’extension de nous-mêmes – nos téléphones et nos ordinateurs portables ou en contemplant des mécanismes algorithmiques qui synthétisent de l’oxygène. Des équipements spéciaux nous permettent de réguler les processus chimiques et les systèmes cybernétiques à l’intérieur de notre corps. La nature, ne mérite-t-elle pas, elle aussi, une évolution artificielle ?

 

Inspiré par “Can’t Help Myself” par Sun Yuan & Peng Yu et “Des robots au diamant’’ par Louis-Philippe Demers.

 

Bibliographie:

Kant – Jugement esthétique et humanité

Paul Pangaro – What is Cybernetics

Bernard Steigler – Pharmacologie de l’espistèmé numérique

J. M. Twenge – Generations, Generation Internet (2018)

National Library of Medicine, Brain Sciences MDPI – Problematic Internet Use among University Students and Its Relationship with Social Skills (2021)

Gilbert Simondon – Du mode d’existence des objets techniques