Béquille numérique

“Béquille Numérique” telle est la manière dont je perçois aujourd’hui Notion, cet outil de productivité qui me permet de concevoir l’architecture du squelette de mon mémoire. 

Notion est une application de gestion de notes et de tâches qui permet aux utilisateurs d’organiser leur vie professionnelle comme personnelle. Elle est conçue pour améliorer la productivité et la gestion de l’information. Elle permet, entre autres, de prendre des notes, de créer des listes de tâches, de planifier des projets, de conserver des documents, de gérer des contacts et de planifier des événements. 

Elle se distingue par son interface polyvalente et personnalisable, permettant à chaque utilisateur de l’adapter à ses besoins spécifiques. Elle permet ainsi de créer son propre espace de travail et de vie.

Depuis sa création en 2013 et dernièrement depuis la crise sanitaire, Notion est devenu populaire, auprès des salariés en distanciels, des étudiants, des entrepreneurs et des créatifs, pour sa capacité à organiser leur vie personnelle et professionnelle de manière efficace.

L’ambition, des trois créateurs américains de ce logiciel, réside dans la volonté de redonner vie à certaines idées des pionniers de l’informatique, jusqu’ici occultées et abandonnées par l’essor de nouvelles tendances économique. Pour cela, ils prennent pour exemple les pionniers de l’informatique comme Alan Kay, Doug Engelbart et Ted Nelson qui ont misé sur le potentiel de l’ordinateur à stimuler l’imagination, à augmenter l’intellect et à étendre nos réflexions.

/* Un logiciel de prise de note ou bien de création de liste de tâches permet-il d’atteindre réellement ces ambitions ? /*

En revanche, lorsque je faisais mes recherches sur le site web du logiciel, il y a une description qui a retenu toute mon attention : 

“Cet outil no-code pour la productivité permet aussi d’alléger votre charge mentale. Vous n’aurez plus besoin de vous souvenir de tout ! Une fois que Notion est implémentée, tous les collaborateurs peuvent naviguer sans difficulté.”

Cette description, qui rappelle le style des scénarios de science-fiction, explique et met en valeur les atouts du logiciel qui m’ont permis de mettre de l’ordre dans mes idées. Ce sont les mêmes raisons qui m’ont conduite à l’utiliser pour élaborer mon mémoire d’étude. 

J’avais besoin, à ce moment-là, d’être accompagnée et surtout rassurée dans l’élaboration de mon mémoire, qui créait chez moi plus d’angoisses et d’inquiétudes qu’autre chose. En classant et en organisant mes idées, je voyais mon travail avancer un peu plus chaque jour. Alors je ne sais pas si je pourrais dire que le logiciel m’a permis d’être plus productive mais il m’a aidée à répondre à la question fatidique de l’objet et du cadre de ma recherche. En effet, par exemple, le classement par mots-clés de ma bibliographie permet de mettre en lumière le cadre théorique et les idées maîtresses du mémoire.

Cette vision d’ensemble et cette gestion de l’information m’ont permis ainsi de me rassurer et d’avoir un sentiment de contrôle sur ce qui commençait à me submerger. C’est comme une hauteur de vue sur l’architecture du squelette de mon mémoire.

C’est dans ce sens que je trouve que le logiciel Notion se rapproche des assistants personnels robotisés. Il permet d’agir comme une “béquille humaine”, pour reprendre l’idée utilisée par Éric Sadin dans La Siliconisation du monde. Selon l’auteur, les assistants personnels robotisés sont “des assistants intelligents pilotant et orientant ‘pour le meilleur’ le cours de nos vies. Adjoint dont la vocation prioritaire consiste à potentialiser notre rapport au temps, à l’espace, à autrui, autant qu’à notre propre corps.” 

Tout comme le logiciel de productivité, ce sont donc des “compagnons fidèles nous libérant de “l’angoisse existentielle” de la décision, du vertige du possible” qui envahissent nos quotidiens et  agissent comme compensation “des manques et des défaillances humaines”. 

De plus, en analysant les pages d’accueil Notion, où d’autres utilisateur·ices, rendaient disponibles l’accès à des forums et d’autres réseaux sociaux, je me suis aperçue que les interfaces se ressemblaient et que certains termes tel que “Home”, “Welcome home”, ou encore “dream’ étaient récurrents. Ces termes démontrent bien que ces applications nous libèrent de nos angoisses et de nos anxiétés en nous offrant des espaces et des repères “réconfortants”, capables de nous extraire d’une réalité pesante et stressante, chargée d’informations en tous genres.

Exemple de templates


Aussi, par l’intermédiaire d’interfaces qui nous rappellent nos intérieurs et nous rassure, ces logiciels robotisent et standardisent nos vies. Plutôt que de libérer l’intellect et d’étendre l’imaginaire, comme l’est l’objectif venté de Notion, ils standardisent nos comportements selon des protocoles d’organisation approuvés et plébiscités par un grand nombre. Finalement, les protocoles se ressemblent tous et les résultats de leur utilisation sont identiques. 

[ Sur-personnalisation ]

De surcroît, cette sur-personnalisation et cette flexibilité peuvent inciter les utilisateurs à créer de nombreux dossiers et sous-dossiers pour organiser leur travail, ce qui peut entraîner une “frénésie de classement” où l’on passe plus de temps à organiser les tâches qu’à les exécuter. 

Notion peut donner l’illusion d’avoir le contrôle sur ses informations, mais il ne garantit pas que vous avez le contrôle sur tout, cela dépendra de l’utilisation que vous en ferez. Il est un outil pour vous aider à organiser vos informations et à les rendre plus accessibles, mais il ne peut pas remplacer la nécessité de prendre des décisions conscientes et de s’engager à les mettre en œuvre pour avoir un vrai contrôle sur sa vie.

Ils peuvent également entraîner une surcharge d’informations, une addiction aux notifications et une perte de la capacité à se concentrer sur une seule chose à la fois.


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